Anniversaire : les flotteurs Argo ont eu 30 ans cette année

Véritables robots autonomes, les 4000 flotteurs Argo déployés dans le monde dessinent tous les dix jours une cartographie complète de l’océan. Largués depuis des navires, ils dérivent pendant 5 à 7 ans au gré des courants, avec des mesures de température et salinité principalement, de la surface jusqu’à 4000 m de profondeur. Une observation mondiale essentielle pour mesurer l’impact des activités humaines.

L’Ifremer a été le berceau des premiers profileurs, mis à l’eau il y a trente ans au large du Portugal, avant même la création du réseau Argo. A l’occasion de cet anniversaire, voici une interview croisée entre Serge Le Reste (aujourd’hui jeune retraité), qui a contribué au développement des premiers prototypes, et Xavier André, qui assure la suite des développements technologiques au sein de l’unité RDT.

Le déploiement des premiers flotteurs a dû être une aventure humaine et scientifique exceptionnelle…

Serge Le Reste : A vrai dire, on sentait le potentiel de ce type de flotteur mais on n’imaginait pas à l’époque le développement exponentiel qui allait suivre. On peut parler d’aventure dans le sens où on est parti d’une feuille presque blanche. La révolution par rapport aux bouées fixes consistait à avoir un point de mesure dérivant sur un "flotteur" sous-marin naturellement stable, ne nécessitant aucune énergie pour se maintenir sous l’eau, pendant des années de fonctionnement: notre instrument se déplace comme une goutte d’eau portée par le courant.

Après 4 ans de travail sur des prototypes, la première véritable mise à l’eau a eu lieu en 1992. Le gros enjeu était de confirmer les performances de nos flotteurs, avec trois appareils testés pendant plusieurs jours au large du Portugal. Puis la première campagne opérationnelle a eu lieu en 1994 avec 20 flotteurs largués du côté du Brésil. Les flotteurs intégraient un concentré de technologie: tubes de compressibilité maîtrisée, électronique ultra basse consommation, motorisation permettant une finesse de positionnement de quelques mètres en immersion, transmission satellite globale, logiciel embarqué robuste…

Comment ont évolué les flotteurs au cours des années ?

Serge Le Reste : Cette technologie a réellement pris son envol au niveau international au début des années 2000, grâce au réseau Argo. L'objectif était de réaliser non plus des mesures en dérive, mais en profil, c'est à dire pendant la remontée du fond vers la surface. Notre challenge pendant toutes ces années était d’obtenir des données de grande qualité avec un flotteur et d'être capable de supplanter l'utilisation d'une bathysonde, ce chargeur de bouteilles qui permet des prélèvements d’eau à différentes profondeurs. L’objectif est quasiment atteint.

Xavier André : Cet envol des années 2000 a été marqué par le seuil de 3000 flotteurs actifs, en 2007, peu après mon arrivée à l’Ifremer. Un nouveau cap a été franchi en 2012 avec les premiers prototypes capables de plonger à 4000 m. Plusieurs générations de flotteurs se sont succédées. Aujourd’hui, celui le plus utilisé mondialement est le flotteur Arvor développé dans notre laboratoire. A chaque étape, on s’est appuyé sur les procédures et protocoles scientifiques mis au point par les pionniers dans les années 90, c’est un véritable héritage.

Quel sera le flotteur du futur ?

Xavier André : Il ira encore plus profond, jusqu’à 6000 m, et il pourra mesurer plus de paramètres. Nous travaillons sur ces prochains prototypes, avec une mise à l’eau planifiée en 2024-2025. A chaque nouvelle étape, on repousse les limites de la technologie et les défis restent passionnants en termes de développement. Mais on retrouve toujours les mêmes questions qu’il y a 30 ans : comment obtenir un flotteur qui résiste aux pressions des grands fonds et dont les mesures soient suffisamment précises, avec un coût acceptable ? Là encore, l’Ifremer est aux avant-postes avec le projet Piano financé grâce au plan d’investissement exceptionnel de l’institut.

Auteurs : Arthur De Pas, Xavier André et Serge Le Reste